entretien avec Hubert Besacier 2008
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Dans un contexte où, depuis longtemps, les médiums les plus variés sont à la disposition de l'artiste, pourquoi choisir la peinture ?
Cela a toujours été une évidence pour moi d'utiliser la peinture. Avec des outils relativement rudimentaires, on peut travailler, elle permet une certaine autonomie, voir une économie de moyens qui m'intéresse. Parallèlement, j'ai toujours eu aussi une attirance pour la construction, la fabrication, le bricolage; la peinture autorise cette fabrication "fait main" sans tomber dans une pratique artisanale (mes premiers châssis étaient quatre tasseaux cloués sur lesquels j'ai tendu un morceau de drap). L'autre aspect est peut-être lié à sa dimension historique et une certaine difficulté à s'inscrire dans cette histoire, comme un challenge, un problème à résoudre. Comment le projet de l'abstraction peut-il être poursuivi sans sortir du vocabulaire de la peinture?
Au début du XX° siècle, l'abstraction a été le fer de lance du modernisme, idéologie aujourd'hui totalement révolue. Dans quelle perspective prend-on cette voie aujourd'hui ?
L'histoire de la peinture au XX° siècle est l'histoire de sa disparition, chacun proposant sa version de "la dernière peinture", (Malevitch, Mondrian, puis l'objet spécifique avec comme stade ultime le monochrome). Si l'on sort de ce schéma linéaire, il me semble qu'il y a encore plusieurs voies possibles en s'inscrivant consciemment dans cette histoire (en se dégageant de ce schéma linéaire et d'une position post-moderne), sous la forme d'emprunts ou de détournements. La voie ouverte par le Ready-made, les travaux qui se définissent par l'utilisation d'une méthode, le terrain commun entre abstraction et décoration me semblent autant de possibles. La mise en relation du tableau avec son contexte d'exposition, le monochrome s'il est envisagé comme un lieu... De même que la peinture abstraite n'est pas à envisager comme opposée au monde (peinture pure) mais dans la continuité de celui-ci, en tenant compte d'une réalité préexistante. Envisager l'abstraction comme opposée à la figuration me semble aujourd'hui obsolète. Lorsque je travaille, je puise dans cet héritage de la peinture, mais je tiens compte également de ma relation au monde, du contexte ici et maintenant. J'aime qu'un travail permette plusieurs niveaux de lectures, qu'il interroge la sphère de l'art tout autant que celle du politique, du social. À mon sens, une peinture abstraite est à envisager comme une image du monde, comme faisant sens avec une réalité extérieure et/ou historique.
La pratique de la peinture aujourd'hui, comme toujours, implique une conscience aiguë de l'histoire, comme l'idée d'un passage de relais, fait d'emprunts, d'interprétations, de trahisons. Quelle est ta position vis-à-vis de l'héritage et avec quels artistes du passé instaures-tu plus volontiers un dialogue ?
Une première phase de mon travail s'est d'abord portée sur des problématiques de la peinture, la surface, la grille, la couleur. Lorsque j'ai commencé à peindre, j'ai tout de suite fonctionné par défaut, il fallait définir un contexte de travail dans lequel j'avais suffisamment de liberté pour travailler la peinture. Très vite j'ai mis de côté tout ce qui touche à la question du "je", la dimension expressionniste; tenir à distance toute expressivité. J'ai d'abord regardé les artistes utilisant une méthode, une règle, et utilisant également la géométrie pour les mêmes raisons, François Morellet en particulier, Claude Rutault, Julije Knifer, Bernard Piffaretti, Jean François Dubreuil ... L'utilisation de la grille a été une évidence, elle autorise le travail de la peinture en évitant la question du "quoi peindre", et son motif est lié à la naissance de l'abstraction, elle renvoie toujours à la présence physique du tableau. La grille devient un ready-made, signale que c'est ici que ça se joue, dans une présence concrète. Bien sûr, les artistes ayant utilisé la grille sont pléthore, mais ce qui m'a intéressé c'est son utilisation comme méthode et non comme style, et de pouvoir en renouveler la signification. (l'héritage de support surface dans le sens d'un élargissement, Blinky Palermo, Imi knobel, Sarah Morris, Helmut Dorner, Jonathan Lasker...). En second lieu, l'intention de ne pas faire une "grande peinture", sortir de ce schéma linéaire et intégrer des éléments issus d'autres registres que celui de l'art, interroger la frontière entre art majeur et art mineur. Par exemple en utilisant des couleurs, des supports, des matériaux issus du registre collectif, ce qui touche à la question du ready-made. Cette position m'a directement conduit à regarder le travail des artistes comme John Armleder, Pascal Pinaud, Francis Baudevin, Nicolas Chardon ainsi que des d'artistes ayant une pratique de la peinture utilisant des matériaux et qui d'une façon générale opèrent une sortie du tableau : James Hyde, Noël Dolla, Jim Lambie, Miquel Mont, Emmanuelle Villard, Edouard Pruhliére….; mais ceux-là sont déjà moins des artistes du passé. Une deuxième phase du travail m'a amené à regarder de plus près la question même de l'héritage : L'appropriation des formes de l'art par l'industrie culturelle (stylique graphique, d'objets, architecture), l'échec des ambitions émancipatrices du Bauhaus et son déplacement vers Ikéa par exemple, la récupération des formes de l'art (l'art minimal) à des fins commerciales pose la question de l'usage de ces formes. Qui possède les formes aujourd'hui? Les auteurs ou ceux qui s'en servent? (Le goût et les couleurs, ça ne se discute pas ! Pourtant les gammes chromatiques sont élaborées par des stratégies de marketing pour une période donnée formatant ainsi le goût du public). D'une façon générale je m'intéresse aux artistes qui touchent à la question de la surface, du support, du monochrome, de la grille, de la couleur et de l'inscription des oeuvres dans un lieu et un contexte, intégrant des questionnement qui dépasse le champ de l'art. Le spectre est large de la naissance de l'abstraction à nos jours!
Le recours à une pratique canonique peut-être un obstacle à la liberté du langage, à l'urgence de la création. Ne risque-t-on pas d'être englué dans les problématiques d'un genre plutôt que d'affirmer une position combative dans un contexte toujours changeant ?
C'est effectivement difficile, l'histoire de la peinture peut être un poids, ceci dit la peinture qui reste dans un questionnement pictural ça a aussi produit des formes qui ont toutes leurs places dans l'histoire de l'art. Ce n'est pas vers là que je regarde aujourd'hui, les questions formelles ont déjà été posées au XX° siècle et rejouées bien souvent de façon intelligente. Néanmoins je crois que la peinture peut encore avoir un potentiel, ce n'est pas une question de médium mais une question d'intention. Si la question de la position combative renvoie à celle de l'engagement, il me semble qu' aujourd'hui en tant que citoyen, il est plus "facile" de s'y inscrire qu'en tant qu'artiste. La position de l'artiste aujourd'hui reste ambiguë, conscient des échecs passé, est-il capable d'apporter des propositions progressistes susceptibles d'être reprise dans le monde géopolitique? La figure de l'artiste n’est-elle pas reprise par la pensée libérale comme le souligne Pierre-Michel Menger dans son livre "portrait de l'artiste en travailleur". Je me fais un peu l'avocat du diable car malgré tout je pense que l'art garde toujours un potentiel utopique. Les positions radicales de Mosset ou de Steven Parrino restent pour moi d'une grande pertinence. Des postures comme celle de Françis Alys également. Le matérialisme de l'art minimal était aussi une prise de position sociale (non transcendant, sans qualité spirituelle, matériaux réels, forme accessible à tous). Aujourd'hui, dans mon travail, je tente de mettre en oeuvre l'idée d'une peinture "hors d'usage", une sorte de dé formalisme, installer une confusion entre une peinture ou un objet décoratif, interroger la notion d’usage et de fonction des œuvres. ("Néon préparé", vidéo adhésif sur mur, peintures écrasées, monochrome sans châssis…). Des formes communes travesties en abstraction. La façon dont cet héritage est récupéré ou digéré par le consumériste contemporain, sa dissolution dans le réel avec toute la perte de sens que cela induit reste pour l'instant plus sur le mode d'un regret, d'une déception que d'un projet. La pièce "néon préparé" est un caisson lumineux blanc sur lequel est branché un variateur qui rend son allumage instable. Sa forme reprend une forme minimale, un monochrome qui ne s'allume jamais, on ne sait pas très bien si c'est normal ou si c'est un dysfonctionnement comme on en voit beaucoup dans les musées. Il introduit également du sens avec l'objet qui est une enseigne lumineuse sans message. La vidéo du décollage d'adhésif qui est vidéo projetée évoque aussi bien la peinture (grille, coulure) qu'un échec de la représentation, de la modernité, une sorte de fiasco qui fait sens pour moi avec des choses qui sont du ressort de l'actualité, l'impossibilité du monde à régler quoi que ce soit.
Tu évoques des pratiques qui restent des extensions de la question picturale : caisson lumineux, (ce qui tend vers l'installation), bande-vidéo, etc. Ces recours à d'autres médiums sont-ils une diversification (tout à fait légitime) de ton champ d'action ou, comme James Hyde considères-tu qu'avec ces pratiques, tu ne sors pas de la peinture ?
J'ai effectivement cette même position où je considère que je reste dans le champ de la peinture. D'ailleurs je me définis toujours comme peintre, peut être par provocation, aussi parce que le devenir de la peinture m'intéresse. C'est un déplacement de la peinture vers l'objet, une sortie du cadre aussi, sans considérer le résultat comme de la sculpture ou de l'art vidéo. Ce n'est pas une question de médium mais d'intention. (Donald Judd parle de peinture et de couleur pour définir son travail, ses textes sur les couleurs des matériaux sont déjà très pertinents). Il y a toujours une part de mes gestes qui est freinée dès que l'on sort du champ de la peinture, j'essaie toujours d'instaurer une sorte de frontière, de rester à la limite. L'utilisation de matériaux qui ne sont pas de la peinture (comme l'adhésif) relève de cette même gymnastique, comment rester dans le champ de la peinture sans utiliser de peinture ? Cette méthode instaure également une relation au Ready made, une confusion qui autorise plusieurs niveaux de lecture. La pièce avec les plaques de plâtre (qui sont des plaques moulées) peut effectivement s'inscrire dans la sculpture, néanmoins seule la surface est peinte; elle renvoie au monochrome, elles sont posées sur des cales qui peuvent évoquer le châssis comme une peinture en attente d'être accrochée au mur. L'ensemble forme une gamme chromatique, un nuancier de peinture. Est-ce que ce sont des peintures ou un matériau de construction où la couleur sert à construire et définir un espace, celui de la peinture et celui de l'architecture ? Lorsque je fais une exposition, j'essaye aussi d'instaurer une relation au lieu ainsi qu'entre les différents travaux présentés, comme un jeux de renvoi qui lui aussi peut produire du sens. Ce n'est pas non plus une installation, c'est plus un jeu, voire un décor. Je n'aime pas bien ce terme d'installation, c'est assez imprécis en fait, ça veut un peu tout et rien dire, c’est comme une coquille vide. Affirmer que je fais de la peinture, c'est un peu plus clair.
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